J’ai vécu avec une famille nomade en Mongolie
J’ai longtemps hésité avant d’écrire cet article. Je ne savais pas par où commencer. Comment raconter une expérience humaine comme celle-là ? Comment ne pas passer pour la touriste qui croit avoir tout compris de la complexité du nomadisme alors qu’elle l’a tout juste touché du doigt ? Comment retranscrire le plus justement possible les émotions ressenties ces jours-là ? Je l’ignore encore… Puis, je repense à ces nuits sous la yourte, à ces repas partagés avec pour seul dialogue celui des yeux et je repense à cette mamie qui a pris un coin de mon cœur à jamais… Et je me dis que je dois la raconter cette histoire… Pour eux, pour vous, pour moi !
Hors du temps, perdu dans la steppe mongole
Il est 14 heures. Nous descendons du bus pour nous retrouver sur le bord d’un route où aucune âme ne semble vivre à des kilomètres à la ronde. Une minute s’écoule. Nous attendons. Puis 5, puis 15. Nous nous asseyons sur nos sacs-à-dos laissant le doute progressivement s’immiscer. « C’est bien à cet arrêt qu’il doit venir nous chercher ? » Impossible d’en être certains, nous nous sommes contentés de montrer un bout de papier écrit par notre contact à Oulan-Bator au chauffeur de bus.
Soudain, une camionnette hors d’âge sort de nulle part, un gars que je dépasse de presque une tête en descend. Ses traits burinés nous annoncent d’emblée que la vie dans la steppe mongole n’est pas facile. On va avoir 6 jours pour s’en rendre compte !
Même si pour l’heure, il est délicat de savoir de quoi seront fait les prochains jours. Nos hôtes, Patteurch et Tseumong ne parlent ni anglais, ni français et bien sûr, nous ne parlons pas mongol. Ça a un air de « Vis ma vie de nomade en Mongolie ». L’idée me plaît. Reste l’application.
Patience et logueur de temps, maître mots de la steppe
Les premières minutes d’attente dans la yourte me paraissent longues. De nouveau, le temps s’égrène difficilement. Moi si agitée habituellement ! Je crois que je vais devoir apprendre la patience. Ici, c’est la nature qui rythme les heures, pas notre montre et encore moins nos envies !
Je repense aux paroles de notre contact, ami du couple qui nous reçoit et vivant à la capitale : « Vous êtes sûrs de vouloir passer une semaine chez eux ?! Ce sont simplement des amis, ils ne sont pas habitués à recevoir des touristes. Ils vont juste vous montrer comment ils vivent au quotidien et vous allez devoir vivre et travailler à leur rythme ! ». Oui ! J’en étais sûre il y a trois semaines de cela, je le suis toujours ; même encore davantage !
Cela ressemble à quoi une journée chez les nomades mongols ?
Ça doit bien faire une bonne heure que je suis là, immobile quand la maîtresse de maison vient nous chercher pour l’activité de fin d’après-midi : la traite des juments. Ce sera l’activité phare de notre séjour. Quatre fois par jour, on rassemble les juments et leurs petits afin de mieux faire monter le lait, on les harnache au bout d’une corde pour éviter les dispersions, on caresse les poulains pour attendrir leurs mamans pendant que Tseumong sollicite leurs mamelles puis on déverse les seaux remplis dans le fût principal située à l’entrée de la yourte et on mélange le liquide collecté à coup de moussoir pour obtenir l’« airag », ce fameux lait de jument fermenté. Comme un toc, quiconque pénètre dans la tente agite le breuvage pour ne jamais en stopper la fermentation.
Chaque matin et chaque soir, on enchaîne avec les vaches. Même processus : rassemblement des couples mère-enfant, encordage des pattes et traite. Les seaux sont cette fois-ci isolés dans une yourte à part spécialement dédiée à la réalisation des produits laitiers. Si le descriptif que je viens de vous en faire vous paraît enfantin, son application pratique est bien plus mouvementée. Parce que pour rassembler les troupeaux, il m’a fallu mainte et mainte fois courir après les bêtes qui s’enfuyaient. Je rappelle au passage que la steppe est grande, très grande et qu’il n’y a pas d’obstacles pour les freiner… Ah si, un : moi ! « Cours Forest, cours ! » Aussi, parce que pour les encorder correctement, il m’a fallu user de stratagème pour éviter les coups de pieds de ces animaux apeurés.
Aller à la rivière à un kilomètre du camp, remplir les pots d’eau fraîche de plusieurs dizaines de litres et les traîner sur le terrain faussement plat de la plaine faisait figure de distraction relaxante à côté !
Une fois de retour à la yourte, pas question de se reposer car déjà sonnait l’heure de préparer le repas notamment les « orsok » (beignets de viande bien gras mais très goûteux) qui nécessitent malaxage de pâte et découpage au ciseau bien aiguisé de la viande séchée. Là non plus, n’imaginez pas qu’on s’amuse à faire de la pâtisserie. La viande durcie demande de la poigne et de la précision pour obtenir des petits morceaux comestibles sans y laisser un doigt !
Après le déjeuner, je m’offrais une « pause » en passant de longues heures (qui ne me paraissaient plus longues dorénavant) en compagnie de la « mamie » à baratter le beurre, délayer les yaourts, goûter le petit lait et échanger des regards complices qui me donnait envie de lui pincer les joues.
Je tombais doucement sous le charme de la simplicité fastidieuse de la vie mongole.
Tout n’est pas rose dans cette pampa asiatique
Vivre au rythme d’une famille mongole c’est aussi accepter les différences culturelles et les comportements sociaux divergents. Parfois avec grande difficulté. Je me souviendrai encore longtemps de cette fin de journée où nous entamions la dernière traite quotidienne des juments. Pour je ne sais quelle raison, le couple voisin a commencé à se disputer et en l’espace de trente secondes, les coups de poings de l’homme bourru ont fusé sur sa femme à terre. Effarée, je jetais immédiatement un regard à nos hôtes qui nous signalaient avec sagesse et fermeté de rester à l’écart. Boule au ventre, yeux larmoyants… j’ai respecté cette demande. Courage, lâcheté… j’ai longtemps hésité. Le soir même, j’en ai longtemps discuté avec ma moitié, lui aussi resté médusé et prudent. Nous avons même hasardé une discussion avec le couple qui nous accueillait. Tseumong a tenté de m’expliquer que cela nous aurait peut-être soulagé la conscience mais leur aurait certainement compliqué la vie. Après réflexion, elle avait raison. Qui sommes-nous pour juger ? Nous n’étions que de passage et si nous nous en étions mêlés, que se serait-il passer après notre départ. Il est des pratiques que l’on ne cautionne pas mais qu’il est préférable de ne pas perturber, de risque de les aggraver.
Après la patience, je découvrais une autre qualité indispensable au paysage mongol, l’humilité !
Mais si cette scène m’a arraché quelques larmes d’impuissance, je préfère retenir celles de joie autour du dictionnaire pour tenter de se comprendre, celles de tristesse que j’ai laissé couler lors de mon départ ou encore celles de nostalgie que je verse en vous écrivant… Toutes celles qui derrière mes lunettes de soleil ont profondément encré mon cœur… Petit cœur encore tout serré à l’idée qu’un jour peut-être, je l’espère, je reviendrai les revoir !